Pourquoi je devais être freelance pour être heureux
#25. Je suis Freelance ~ La découverte du copywriting ~ Premiers pas avortés ~ Le tournant Agora Finance ~ Le malaise du Bullshit Job ~ La régénération ~ La Conversion ~ Ergon et Otium
Cette semaine fut la plus chargée de ma récente histoire de freelance.
A accompagner deux créateurs sur leurs lancements de produits, je me suis dit que ça y est, je suis freelance. Pas je deviens freelance, comme c’était mon intention l’été dernier alors que je suivais le bootcamp d’Alexis Minchella.
Mais, je suis freelance. Mon identité a évolué, mon quotidien aussi et ça ne s’est pas fait du jour au lendemain. J’ai fini par m’y résoudre, et la vérité, c’est que je n’avais pas le choix.
Petit récit de ma mise au charbon — et perspectives sur le travail via le prisme du freelancing.
Pourquoi je devais être freelance pour être heureux
« Si tu veux gagner de l’argent, écris sur un seul sujet. Pour te faire plaisir, écris sur ce qui te plaît »
Quand Mark Ford* me dit ça, je comprends que je dois arbitrer entre désir de création et besoin de deniers. On est à l’été 2020 et je suis salarié chez Agora. Je suis arrivé quelques mois plus tôt, mais je sais déjà que je devrais me résoudre à oeuvrer en freelance pour allier les deux à ma guise.
(Surtout que les managers voient d’un mauvais oeil que “je me disperse à écrire pour Odyssée, car toutes tes idées devraient être pour ta copy”).
*Mark Ford est le marketeur préféré de votre marketeur préféré. Il est l’auteur de best-sellers (les plus business d’entre-vous connaîtront peut-être Ready Fire Aim ; et vous le connaîtrez alors sous son alias Michael Masterson).
La découverte du copywriting
Rembobinons.
Ready Fire Aim est l’un des premiers livres que je lis en 2017. Je viens juste de revenir de Lituanie. Comme je ne sais pas quoi faire de ma vie, je débute un Service Civique. Je suis chargé de com’ dans une agence événementielle et je me régale.
En parallèle, je trébuche sur le copywriting. Un ami recontré à la grande braderie de Lille m’y initie — et comme cet ami, Robin Hanna, est derrière la réussite d’entreprises comme Bonne Gueule ou Jacques & Demeter, je suis attentif (ces deux entreprises sont passées de blog à ouvrir des magasins).
Je me forme doucement. Je découvre l’univers du Direct Marketing qui consiste en un mélange de psychologie appliquée, de stratégie de vente et d’écriture (surtout de récit d’histoires). Ma curiosité est piquée.
Mais plus encore, je vois une porte s’ouvrir.
Je viens juste d’abandonner mon master analyse de crises et conflits. Je voulais me confronter au “monde pro”. J’avais eu une micro expérience en Lituanie où j’avais aidé à monter le studio JF Wardrobe. Et si je prends du plaisir dans mon agence évenementielle, je sens que ça ne pourra pas durer.
La subordination me fatigue, tout comme devoir dédier mon temps, mon énergie et mon attention a des activités marchandes (nous y reviendrons). Je me surprends alors à revasser à ma vie de freelance. Je me dis que je pourrais vendre mes services de copywriter et que la vie sera douce.
Peu de temps après, je me décide : je quitte mon service civique, je pars en Belgique rejoindre un pote pour un week-end “on monte notre blog” et je chine un premier client. Je vends des tasses et des écharpes sur Amazon.
Pas ouf, mais j’ai l’impression d’être sur une bonne piste.
Premiers pas avortés
Quelques mois plus tard, j’intègre l’école de commerce de l’EM lyon. J’y vais à reculons, mais on m’a assuré que “oui oui vous pourrez suivre le cursus pour devenir freelance”.
Je suis paumé, et je me dis qu’un cadre me sera favorable. Entre-nous, je suis encore débutant en copywriting. J’ai reçu une excellente formation, mais je ne l’ai pas éprouvée (sauf en vendant des tasses).
Mais au bout de 3 mois, 15 visites à l’incubateur et 20 mails sans réponse, je comprends qu’on m’a douillé : le cursus freelance coûte 5 000€ et est réservé aux externes.
En parallèle, je me sens régesser à évoluer dans une piscine de post-prépas gosses de riches à la vie tracée qui ne veulent que faire la fête. J’ai déjà vécu cette période (prépa et gosse de riche exceptés).
Je venais en école de commerce pour me professionnaliser, et me voilà coincé entre des cours rincés et un environnement toxique. (Et allégé de 50 000 €, ça aura son importance.)
Je perds ma motivation. Je me débrouille pour malgré tout lancer une publication (Station L), puis je débute un stage en startup.
Chez Libeo, une fintech qui édite un logiciel de payement, l’ambiance n’est pas au direct marketing. Je ne progresse pas en copywriting. Je pars après 7 mois sympas.
Mais je suis encore plus paumé qu’avant — j’ai juste toujours l’idée nébuleuse de devenir freelance.
C’est alors que je me lance un défi de 30 articles en 30 jours. Je veux me faire remarquer. Honnêtement, les articles sont médiocres (j’espère dire la même chose de ce texte dans 3 ans).
Le tournant Agora Finance
Nous somme en Novembre 2019, je partage sur Linkedin et reçois de moins en moins de likes à mesure que le défi avance. Je me sens mal à l’aise, mais je continue à publier.
Puis l’improbable se produit. Le rédacteur en chef d’Agora Finance France slide dans mes dms :
Il faut comprendre que Agora Finance, pour un copywriter, c’est l’équivalent du Real Madrid. C’est l’entreprise avec qui je pensais pouvoir bosser en fin de carrière… Pas comme premier job dans le milieu. Croyez-moi, à ce moment-là, je ne me destine pas à faire comme Mbappé !
Nous déjeunons à côté de Montparnasse. On discute copywriting et Agora, échecs, vélo et rubgy.
Le courant passe, alors je rencontre la Copy Chief — ni plus ni moins que la nièce de John Forde, l’un des plus grands copywriters (même pédigrée que Mark Ford, le “e” en plus).
Ils croient en mon potentiel. Mais nous souhaitons faire un test. Je prends alors mon avion pour San Francisco, direction la Piscine de l’école 42 (un mois à coder 24/7).
Je reçois mon projet : améliorer une copy qui s’intitule “La SEULE action qu’il vous faudra détenir sur le marché du cannabis”. Pas triste (surtout que cette entreprise produisait la weed qu’on trouvait à SF).
Je mène le projet à bien (“j’overdeliver” comme me dit le rédac’ chef), si bien que je signe à mon retour en France. Je commence à taffer le 2 mars 2020, avant de se confiner 14 jours plus tard.
Et cerise sur le confinement, quoi de mieux pour démarrer dans le copywriting financier… Q’un effondrement boursier ? Caustique pour un anticapitaliste.
Le malaise du Bullshit Job
Car nous arrivons à un point fondamental : à mesure que les semaines passent, l’excitation de jouer au Real Madrid fait place au malaise.
Après mes études de science politique, j’ai coupé les ponts avec “la politique”. En vérité, je me suis quasiment dépolitisé (j’étais tellement dégoûté et désemparé, je crois que fuir a été mon mécanisme de défense mental).
Sauf que, comme pour beaucoup de monde, le contexte pandémique m’amène à me repolitiser. Médiapart, Monde Diplo et sociologie — les bons réflexes n’ont pas disparu. Et plus les semaines passent, moins je suis à l’aise à bosser dans la finance.
Je tiens car je lance Odyssée au même moment. Ca devient mon oxygène, en plus des voyages — une boulimie qui sonne plus comme une fuite en avant qu’un mode de vie conscient.
Je venais de terminer mon Copy Camp. J’avais donc bénéficié de la formation 5 étoiles d’Agora. Pour ça, j’avais signé un contrat : je devais sortir 4 projets avant de pouvoir partir.
Comme je ne suis pas mauvais, je compense l’absence de sens par la stimulation de la création et du jeu. Car réussir à sortir une copy qui vend a tout d’un jeu.
A un stade, je n’en dors plus la nuit. Je suis en train de lire Bullshit Job de David Graeber — et je sais que ce job de copywriter chez Agora Finance incarne ce que l’anthropologue définissait comme :
« Un job à la con est une forme d’emploi rémunéré qui est si totalement inutile, superflue ou néfaste que même le salarié ne parvient pas à jusitifer son existence, bien qu’il sente obligé, pour honorer les termes de son contrat, de faire croire qu’il n’en est rien. »
La régénération
11 projets plus tard, quelques amitiés nouées et un malaise devenu ingérable, je quitte Agora. Je suis au Portugal quand le Directeur Financier m’appelle — un coup de fil qui sonne comme la libération tant attendue.
Nous voilà en Septembre 2021. Je m’installe à Paris avec l’envie de rencontrer des philosophes, des scientifiques et des artistes qui luttent politiquement. S’ensuivent donc plusieurs mois à me balader de conférences en séminaires, à découvrir l’ENS et à remettre les pieds dans une FAC.
Je me fais mes vacances. 18 mois de CDI et de confinement m’ont assoiffé de rencontres. Je vis sur mes économies, mais je sens le souffle du prêt d’école dans mon cou. A partir de Septembre 2022, je dois commencer à rembourser. 800 € par mois, ça va être salé en plus du loyer.
Il est donc temps d’y aller. Histoire de me mettre le pied à l’étrier, je me débrouille pour publier chez Welcome To The jungle. Un article qui revient sur le mois d’Août en résidence en Géorgie — expérience qui m’a décidé à me lancer en freelance (et à m’établir à Paris, plutôt qu’à poursuivre le vagabondage).
En retraite à San Sebastian, juste avant le nouvel an, je prends mon élan. 2022 est l’année du freelancing. Après mon premier client en 2018, l’heure est venue d’inventer mon mode de vie.
La Conversion
Changer de mode de vie s’apparente à une conversion. Ce mot n’est pas réservé à la religion. Devenir sportif est une conversion à l’effort, à l’alimentation et à la discipline. Il en va de même pour devenir freelance et prendre ses projets au sérieux.
Cette fois, je deviens freelance. J’ai digéré mon installation à Paris et je peux m’engager dans ma vie d’adulte — sinon de Majeur au sens de Kant (autonome et indépendant dans la formation de son esprit, et de sa vie).
Je deviens freelance car je veux maîtriser ma vie — et je ne le pourrai jamais si je reste employé. J’en suis incapable. La subordination m’insupporte. La liberté m’est trop précieuse. Je veux mener une vie intermittente où l’activité marchande est secondaire.
C’est la raison sous-jacente à mon engagement comme freelance — car je suis l’antithèse du carriériste : si je n’avais pas besoin de gagner d’argent, je n’y passerais pas une seconde ! Je ne m’identifie pas à mon emploi ou à mon statut freelance.
Quand on me demande ce que je fais dans la vie, je parle d’écriture, de philosophie et de convivialité. Mon entourage ne sait pas vraiment que je suis freelance, et tout le monde s’en fou : il y a tellement plus important.
Ce qui m’émeut et me motive tient dans la création, la contribution et l’amour — pas dans le statut social, la responsabilité professionnelle et la capacité à dépenser ou acheter des cryptos.
L’une de mes règles l’explicite : l’auto-limitation. Je ne veux gagner que ce dont j’ai besoin. Concrètement, j’estime qu’outre le loyer et le prêt (1500 € par mois), je peux vivre avec 1300€. Si j’ajoute les impôts, cela fait 50 000 € annuel.
Je pense que c’est faisable en freelance, et c’est mon objectif sur 2023… Sans jamais bosser après 18h30.
D’ici là, je suis en quête du mode de vie qui me permet de :
Créer et publier toutes les semaines
Faire entrer du cash sans y passer plus de 35h par semaine
Mener à bien mon projet de recherche (on en parlera le moment venu…)
M’offrir la vie culturelle, intellectuelle et sociale qui justifie de vivre à Paris (si vous y vivez et que vous voulez assister aux spectacles des humoristes de France Inter…)
Être freelance signifie grandir et accepter que je dois ramener du cash à la maison. Je n’ai jamais voulu m’employer. Vraiment, chaque seconde accordée à la subsistance me semble perdue. Rendez-vous compte qu’il nous suffit de 10% du travail mondial pour produire ce dont toute la population a besoin (sur tous les plans !).
Comme le disait Keynes :
L’humanité a résolu son problème économique. La question est maintenant : que va-t-elle faire ?
Hé bien moi, je choisis de me convertir à l’Ergon et à l’Otium.
Ergon et Otium
Chez les grecs, le travail se divise entre ponos et ergon.
L’ergon est le travail qui produit des oeuvres
1. Le ponos (la corvée)
Il s’agit du travail-corvée qu'il faut accomplir jour après jour pour entretenir son milieu de vie et produire sa subsistance.
C'est aussi bien le travail ménager que le travail agricole, dont les hommes, dans les sociétés traditionnelles, se déchargent sur les femmes et les esclaves. En somme, c’est gagner de l’argent et tenir sa demeure.
2. L’ergon (l’oeuvre)
Ergon se traduit par “oeuvre”. Il désigne l’activité qui trouve sa fin en elle-même. L’ergon procède aussi bien de la production - poiesis - que de l’action – praxis.
La poiesis est le travail de l'artisan, ou du « producteur ».
Le travail comme poiesis n'est plus, à la différence du ponos, asservi complètement aux nécessités et aux contraintes matérielles de la subsistance.
Le terme ‘artisan’ englobe tous ceux qui accomplissement quelque chose en-dehors de l'oïkos (de la maison, de la sphère privée), en faveur du public — du dèmos : les forgerons, les charpentiers aussi bien que les guérisseurs des maux, les aèdes, voire les mendiants.
La production concerne le faire de l’artisan et a une fin différente d’elle-même (son résultat).
La praxis est l'activité non utilitaire qui tend à définir les conditions et les normes de la « bonne vie ».
Cela comprend le débat politique et philosophique, la réflexion, l'enseignement, une grande partie de ce qu'on appelle aujourd'hui le “relationnel” et la “production de sens”.
L’action, selon la définition d’Aristote, a sa fin en elle-même : c’est l’action réussie elle-même qui est sa propre fin.
Il peut s'en émanciper en devenant création, invention, expression et réalisation de soi. C’est par ce type de travail que vous pouvez vous individuer (procédé de devenir soi, dans le langage du philosophe Gilbert Simondon).
Qu’est-qu’une oeuvre ?
Ces lignes sont une retranscription plus ou moins fidèle de la présentation de la philosophe Anne Alombert : Réinventer le travail dans l’Anthropocène.
Il peut s’agir de jardiner, de construire un logiciel libre, de peindre, de publier des livres ou de contribuer à Wikipedia. L’oeuvre se définit ainsi par deux aspects : l’épanouissement individuel et un partage social (car je partage mon savoir acquis par l’activité de production de l’oeuvre).
Qu’entend-on par le terme “savoir” ?
Il ne se restreint pas au sens souvent académique ou théorique. Les savoirs sont définis par leur fonction dans les sociétés et dans la vie humaine.
Les savoirs sont ce qui permettent aux communautés humaines de prescrire des bonnes pratiques pour leur organes artificiels, pour leur milieu technique.
Les savoirs fournissent ainsi des règles collectives, partagées par des groupes, qui permettent aux individus de vivre en bonne intelligence dans leur milieu technique.
« Le savoir est ce qui permet aux êtres humains de faire en sorte que leurs organes exosomatiques soient porteurs de plus de néganthropie que d’anthropie. Sous toutes ses formes, comme savoir vivre, savoir faire ou savoir conceptualiser, le savoir est ce qui permet aux êtres humains de prendre soin d’eux-mêmes, et avec eux, de l’environnement et de l’avenir de la vie sur Terre »
~ Bernard Stiegler, l'ergon dans l'ère anthropocène et la nouvelle question de la richesse,
Le savoir est donc la prise de soin de soi-même, des autres et de leurs organes techniques. Pour Bernard Stiegler, tout objet technique est à la fois potentiellement toxique et curatif. C’est ce qu’il nomme le “pharmakon”.
Les savoirs sont ce qui permet de rendre tous ces objets techniques curatifs.
Par exemple, une voiture est très dangereuse si l’individu ne possède pas de permis de conduire. S’il ne possède pas les savoirs nécessaires à l’usage de cet objet technique, la voiture devient destructrice.
L’ergon se compose ainsi de savoirs qui permettent d’oeuvrer — sachant qu’oeuvrer signifie ouvrir des mondes, donc des possibles.
C’est à ce type de travail que j’aspire, en opposition au travail marchand que je veux réduire au maximum car il ne porte pas de savoirs. Il porte des compétences, et ce n’est pas la même chose.
La différence entre savoirs et compétences
Extrait tiré du vocabulaire de la recherche contributive (note : la recherche contributive intéressera 100% des curieuses et curieux qui lisent ce passage).
Les compétences
« Les compétences sont acquises en vue de l’employabilité. Elles précèdent l’individu qui est censé les acquérir et correspondent à des standards comportementaux prédéterminés auxquels l’individu doit se conformer.
Ainsi, deux individus peuvent acquérir individuellement des compétences identiques — et ils deviennent dès lors interchangeables. L’emploi repose sur la mise en œuvre de compétences préalablement acquises. Parler de compétences revient à parler de l’emploi — ou de ce que j’ai nommé plus haut ponos.
L’emploi (ou ponos) repose traditionnellement sur l’effectuation de tâches ou l’application de procédures préalablement déterminées et la mise en œuvre contrôlée de compétences préalablement acquises.
L’emploi tend à enfermer l’employé dans des standards comportementaux préétablis auxquels il doit adapter sa conduite, en fonction des impératifs de productivité, et qu’il peut difficilement faire évoluer.
L’emploi repose sur la transformation de la force de travail ou du labeur en valeur d’échange, et non sur l’exercice ou la pratique de savoirs : il tend ainsi à « prolétariser » les individus (les déposséder de leurs savoirs) et à favoriser la répétition du même.
En ce sens, l’emploi peut être considéré comme une activité entropique (NDLR : de destruction de votre psyché). »
Le savoir (ou ici, « capacités »)
« Les capacités correspondent au contraire aux possibilités d’existence singulières de chaque individu. Celui-ci ne peut les exercer qu’à partir du moment où il s’individue collectivement.
C’est-à-dire, à partir du moment où il pratique et partage des savoirs avec d’autres individus, et s’encapacite ainsi (les capacités sont des expressions de la singularité des individus, mais elles supposent, pour se développer, la pratique collective d’un savoir).
Les capacités se développent au cours des activités de travail (que j’ai appelé Ergon plus haut).
Une activité de travail suppose la transmission, la circulation et la pratique (toujours nécessairement collectives) de savoirs, au cours desquels l’individu s’individue (se transforme, s’encapacite) en transformant son milieu de travail et en se co-individuant avec ses collègues de travail (ou pairs).
Par le travail, les individus s’organisent collectivement en partageant des savoirs. Chaque individu développe ses capacités singulières et participe ainsi à la transformation du savoir lui-même, en produisant de la nouveauté, en faisant bifurquer les savoirs transmis vers de nouvelles directions.
En ce sens, le travail peut être considéré comme une activité néguentropique (producteur de différences et de nouveauté). »
Il faut rendre le mic maintenant Anne, on a saisi.
** Simon écrit de nouveau **
Cette différence me semble fondamentale pour bien vivre. Le ponos (l’emploi) ne vous rendra jamais satisfait, ni ne vous permettra d’inventer le sens qui fait de la vie une aventure qui mérite d’être vécue.
Pour vous dire le fond de ma pensée (qui s’appuye sur Marx, André Gorz, François Bégaudeau, Bernard Stiegler…) :
Devoir marchander sa vie est une arnaque. Je ne vais vous exposer la démonstration ici, mais vous pouvez le sentir dans votre trippes : pourquoi devoir vous buter au taf pour consommer ? Ca n’a aucun sens logique.
C’est pour pouvoir rompre avec cette conception de la vie (gagner de l’argent → consommer) que je délaisse l’emploi. C’est pour avoir le temps de cultiver des savoirs et de m’épanouir dans un travail compris comme Ergon.
Et c’est aussi pour cultiver un Otium.
L’Otium, de la Rome Antique au Paris contemporain
« Dans l’empire romain, il y a une pratique qui est apparue qui s’appelle l’otium. C’est une pratique de haute civilisation, de gens qui d’un seul coup sont devenus des gens qui essayaient de vivre bien. De penser. De vivre sobrement. D’avoir une vraie belle vie — ce qui ne veut pas dire aller se promener avec sa Rolex sur les Champs-Elysées comme le président Sarkozy.
Ca voulait dire “vivre sagement”.
L’otium est lié au travail. Je vous exposais l’idée que le travail (Ergon) n’est pas l’emploi (ponos).
Le travail n’est plus une activité marchande mais une activité d’élévation qui relève de la notion d’otium – qui s’oppose au negotium. L’otium est avant tout le temps libre qui échappe au negotium – soit, à l’activité marchande, donc à la sphère de la subsistance.
Le travail est donc ce qui échappe au negotium, sphère marchande régie par le calcul et le calculable. L’otium définissait notamment l’activité d’étude (skholè), soit ce qui appartient aux sphères de l’existence et de la consistance.
La subsistance, chez Stiegler, concerne la satisfaction des besoins impératifs par des activités relatives à la survie. Il s’agit notamment de l’activité marchande comme du laboureur qui cultive sa terre pour sa survie.
L’existence qualifie la vie hors de la satisfaction des besoins impératifs.
La consistance désigne ce qui n’existe pas, à savoir les objets d’idéalisation comme le beau, le juste ou la vérité.
Pour Bernard Stiegler, l’humain doit s’individuer (processus de devenir soi) pour exister et cultiver son désir envers des idéaux (les consistances).
La pratique de l’Otium est au coeur de ce processus d’accès à la consistance. L’otium est le temps qui échappe au negotium (donc au ponos). Il a été nommé “loisirs” dans notre société, mais je pense que ça ne rend pas hommage à ce que je fais de mon temps libre.
Car le temps libre devient souvent temps disponible (et le temps de cerveau disponible est accaparé par les industries culturelles).
L’otium comprend un entraînement, comme peut l’être celui du sportif, ou l’étude pour le philosophe — ou la création pour le créateur. L’otium ne peut pas être marchandisé, sinon il disparaît. Il fait partie de ces activités qui disparaissent si ont leur affecte une fin.
L’otium est donc une technique de soi, une manière de prendre soin de soi.
C’est ce que j’essaye de préserver avec Odyssée et dans mes engagements sociaux et intellectuels. Et c’est pour cultiver un temps d’otium que je me convertis à la vie de freelance — car je pense pouvoir réduire au maximum mon temps de travail marchand.
Au-delà de l’aspect financier, je me régale à façonner un travail Ergon, un temps libre d’Otium et à cultiver mes savoirs. Je ne sais donc pas comment l’histoire va finir, mais je sais qu’elle en vaut la peine.
Je sais que mon ride pour “trouver ce truc qui nous la rend si belle” ne pourra pas me mener ailleurs qu’à “toucher l’horizon”.
A la semaine prochaine l’équipe,
PS : coeur sur vous si vous avez la dédidace de ce dernier paragraphe
PPS : le a ciao bonsoir de la semaine passée était une dédicace aux guignols de l’info.
Ce qui m’a donné à penser cette semaine :
L’ergon dans l’Anthropocène et la nouvelle question de la richesse (texte, 14 pages).
La présentation de la philosophe Anne Alombert Réinventer le travail dans l’Anthropocène (qui me touche spécifiquement en tant que créateur).
Les mots de l’écrivain François Bégaudeau sur “trouver sa puissance, là où s’actualisent le mieux les forces en moi”. Pour lui, c’est l’écriture. Et pour vous, qu’est-ce que c’est ?
Une réflexion concise et puissante d’André Gorz (de 2007) : La sortie du capitalisme a déjà commencé (texte, 10 minutes de lecture).
Pourquoi je devais être freelance pour être heureux
Woow. J'aime beaucoup tes réflexions !
Magnifique édition.
Bienvenue dans le freelancing.
Un très bon moyen de construire une activité rémunérée, au service de sa vie.
Oui, les 50K€ annuels sont possibles (surtout en copywriting).
Au plaisir de discuter avec toi.
✌️